Focus sur les INDH: Promouvoir les droits humains en RDC
À l'approche du quatrième cycle de l'Examen Périodique Universel (EPU) de la République Démocratique du Congo (RDC), prévu pour le 5 novembre 2024, les attaques contre les défenseur·e·s des droits humains restent une préoccupation majeure.
« Les attaques, les intimidations et les assassinats de défenseur·e·s des droits humains se poursuivent quotidiennement en République Démocratique du Congo, malgré les appels répétés aux autorités pour intensifier leurs efforts dans l’enquête sur ces violations, arrêter et poursuivre les auteur·e·s. » Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseur·e·s des droits humains.
Entre juin 2023 et avril 2024, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l'humain en RDC a documenté 387 cas d'intimidation, de menaces de violence physique et d'attaques visant des défenseur·e·s des droits humains ainsi que 67 journalistes, perpétrés par des agent·e·s de l'État et des groupes armés.
Dans le cadre du troisième cycle de l'EPU, la RDC a reçu 45 recommandations concernant la protection des défenseur·e·s des droits humains, dont 15 formulées spécifiquement lors du troisième cycle. Ces recommandations ont été renforcées par d'autres mécanismes onusiens, notamment par le Comité contre la torture en 2019. Parmi elles figurait la recommandation d'adopter une loi reconnaissante et protégeant le travail des défenseur·e·s des droits humains, en garantissant des enquêtes indépendantes et approfondies sur les violations qu'iels peuvent subir.
En réponse à cette situation, la RDC a adopté en 2023 une loi visant à protéger les défenseur·e·s des droits humains, devenant ainsi le cinquième pays africain à se doter d'une telle législation.
Cette loi, conforme aux normes internationales minimales, garantit la sécurité, la liberté et l'intégrité des défenseur·e·s des droits humains, en reconnaissant leur rôle essentiel dans la promotion et la protection des droits fondamentaux. Elle offre également une protection spécifique aux femmes défenseur·e·s et prévoit des mesures pour prévenir les actes de violence, d'intimidation et de représailles à leur encontre, ainsi qu'à l'égard de leurs familles.
Cependant, malgré ces avancées, la loi introduit une obligation d'enregistrement des défenseur·e·s auprès de la Commission Nationale des Droits de l'Humain de la RDC (CNDH-RDC) pour obtenir un numéro d'identification. Cette exigence, bien qu'elle vise à organiser et superviser les activités des défenseur·e·s, pourrait être perçue comme contraire au principe selon lequel toute personne peut défendre les droits humains, sans nécessité d'enregistrement préalable. Cette formalité administrative pourrait dissuader certaines personnes de s'engager dans la défense des droits humains en ajoutant une démarche bureaucratique.
Dans le cadre de ses efforts visant à favoriser l'échange de bonnes pratiques entre les parties prenantes, notamment les Institutions Nationales des Droits Humains (INDH), dans le processus de l’EPU, UPR Info a interviewé Monsieur Paul Nsapu Mukulu, Président de la CNDH-RDC.
L'entretien a souligné le rôle crucial de la Commission dans l’élaboration de la loi visant à protéger les défenseur·e·s des droits humains et la mise en œuvre des autres recommandations de l'EPU.
Quel rôle la CNDH a-t-elle joué dans la loi visant à protéger les défenseur·e·s des droits humains ?
La CNDH a joué un rôle essentiel dans la conception de la loi visant à protéger les défenseur·e·s des droits humains. En collaboration étroite avec les organisations de la société civile, nous avons activement participé à l'élaboration et à la validation du plaidoyer, puis travaillé avec les parlementaires pour assurer l’adoption et la promulgation de cette loi. Bien qu'une version ait été rédigée par la CNDH, la loi a fait l'objet de plusieurs révisions avant d'aboutir à sa forme finale.
Actuellement, nos efforts se concentrent sur la diffusion de la loi à l'échelle nationale et sur l'établissement d'un mécanisme interne de protection des défenseur·e·s des droits humains.
Avez-vous observé des améliorations dans la situation de droits humains mises en place par l'État au cours des trois dernières années ?
Au-delà de la loi sur la protection des défenseur·e·s des droits humains, plusieurs mesures importantes ont été mises en œuvre en réponse aux recommandations de l'Examen Périodique Universel (EPU). Parmi ces avancées figurent notamment la promulgation d'une loi sur la parité, qui a permis d'intégrer la dimension du genre dans de nombreux secteurs clés. Cette initiative vise à garantir une plus grande égalité entre les genres dans les sphères politiques, économiques et sociales du pays.
De plus, une attention particulière a été accordée à la représentativité des femmes dans les processus électoraux, en assurant leur présence sur les listes électorales, renforçant ainsi leur participation politique. Une autre réalisation majeure est l'adoption de la loi n° 22/029 du 29 juin 2022, qui modifie la législation relative à l'organisation des élections, en intégrant des dispositions spécifiques visant à promouvoir les femmes dans la vie politique congolaise.
Ces mesures témoignent des efforts continus de la RDC pour répondre aux recommandations en matière de droits humains et promouvoir l'égalité des genres.
Comment la CNDH a-t-elle contribué aux réalisations que vous avez mentionnées ci-dessus ?
Depuis sa création en 2015, la CNDH collabore avec divers partenaires, dont les organisations de la société civile, le gouvernement, le parlement et les agences des Nations Unies. Nous organisons régulièrement des rencontres pour suivre l'évolution des droits humains et coordonner les efforts des différents acteurs. Nous avons également mené des actions de plaidoyer auprès du Président de la République et des ministères concernés pour la mise en œuvre des recommandations. De plus, nous avons sensibilisé les magistrats des Cours et Tribunaux civils et militaires à la nécessité de corriger les violations des droits des personnes détenues, et formé le personnel des services pénitentiaires et des officiers de police judiciaire sur le respect des droits des personnes arrêtées et détenues.
Comment la CNDH s'est-elle engagée dans le dernier cycle de l'EPU ?
Dès réception des recommandations adressées à la RDC, la CNDH, avec l'appui de partenaires tels qu'UPR Info, le Centre Carter, OSISA et Avocats Sans Frontières, a entrepris des actions pour assurer leur mise en œuvre.
Un aspect clé de ce processus a été le renforcement des capacités des acteur·rice·s impliqué·e·s dans l’EPU, en leur fournissant les outils nécessaires pour suivre la mise en œuvre des recommandations. Par la suite, la CNDH a collaboré avec les organisations de la société civile pour collecter des données auprès des ministères concernés et a travaillé en étroite coordination avec le Comité Interministériel des Droits de l’Homme, qui regroupe des délégué·e·s de divers ministères, pour assurer le suivi des recommandations par thématique.
La CNDH a également participé à la validation des rapports à mi-parcours et des rapports alternatifs, et a contribué à l’élaboration du rapport du gouvernement.
Quelles stratégies la CNDH utilise-t-elle pour plaider au niveau national en faveur de la mise en œuvre effective des recommandations de l'EPU ?
La CNDH travaille en étroite collaboration avec le comité interministériel des droits humains sous la tutelle du ministère des Droits Humains. Nous organisons des rencontres régulières avec la société civile pour suivre les progrès et identifier les actions nécessaires à la mise en œuvre des recommandations.
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez partager avec vos collègues des INDH dans d'autres pays ?
Nous encourageons nos collègues à s'inspirer des stratégies de la CNDH-RDC, notamment pour promouvoir un mécanisme de protection spéciale pour les défenseurs des droits humains. Il est également essentiel d'établir un dialogue ouvert et continu avec le gouvernement pour évaluer régulièrement la situation des droits humains au niveau national.
Pouvez-vous donner une définition personnelle de ce que l'EPU signifie pour vous ?
L'EPU est un mécanisme du Conseil des droits de l'homme unique en son genre. Il incite chaque État Membre à procéder tous les 4 ans et demi à une évaluation par les pairs de son bilan en matière de droits de humains. Il est important de savoir que ce mécanisme n’a pas de police mais laisse la responsabilité aux Etats Membres de veiller eux-mêmes sur la situation des droits humains.